Une de perdue, dix de retrouvés. Cédric avait avantageusement remplacé Mintaka-la-menteuse, comme ils n’allaient pas tarder à la surnommer au vu du néant de nouvelles de Vipercanyon qu’elle leur fit parvenir. Mais s’il fallait compter sur les filles de Malhaut pour avoir des nouvelles de la maison, elles se feraient encore plus rares que les mises à jour sur le roman de ma vie, c’est tout dire.
M’enfin, l’arrivée de Cédric et la complicité qui l’unissait à sa sœur adoptive –même s’il semblait avoir oublié ce détail, et peut-être bien à cause de ça- avait eu le mérite de susciter la jalousie d’Aurélien et par là-même son rapprochement avec sa promise qu’il avait un peu trop tendance à délaisser au profit de ses études. Un dingue du boulot, que c’était l’Aurélien. Quand il n’était pas accaparé par sa disserte, c’est qu’il faisait ses devoirs. Et l’amour ? Où trouverait-il le temps de s’épanouir, dans tout ça ?
Je peux vous dire que si j’avais été à sa place, y a longtemps que je me serais posé des questions et pas que celle qu’il lui a posée :
- Ophelia, qu’y a-t-il exactement entre Cédric et toi ? Je vous trouve un peu trop… comment dirais-je ? Un peu trop proches, si tu vois ce que je veux dire.
- Meuh-nan, Aurélien, Cédric et moi, on sait bien que c’est impossible, te bile pas avec ça. On s’aime bien, ça va pas plus loin, lui a assuré Ophelia.
Et voilà ! C’était suffisant pour le rassurer. Les séances de félicitations à rallonges qui se terminaient par une étreinte, -toute amicale, mais prolongée- les Cédric par ci, Cédric par là, les vapeurs qui l’assaillaient quand elle prononçait son prénom, n’étaient que vues de l’esprit, puisqu’elle le lui avait affirmé.
Faut vous dire que ma descendante, faisait des ravages dans le campus. Son air de petite fille trop sage, sa réserve, et le souci qu’elle avait de « se garder » pour son mari en avait fait craquer plus d’un. Sans conséquences, je tiens à le préciser.
Elle avait l’art et la manière de décourager toute velleité de séduction en leur faisant miroiter sa bague de fiançailles sous le nez. « Je suis déjà fiancée » ajoutait-elle, des fois qu’ils n’auraient pas compris que cette bague, c’était aussi dissuasif qu’un panneau chasse gardée.
Mais il m’arrivait de penser qu’il y avait dans sa voix comme une ombre de regret. Se doutait-elle, tout comme moi, que son avenir avec Aurélien, pour tout tracé et inéluctable qu’il fut, n’augurait rien de franchement emballant ?
Qui nous dira les pensées des petites jeunes filles trop sages ?
Moi ! Ben-oui, je le sais bien moi que parfois, le démon de la tentation –pas toujours bien inspiré- squatte là où on ne l’attendait pas. Jonas ! Manquerait plus que ça ! Que Phyllis, ça ne la gêne pas de s’envoyer en l’air avec un lapin, c’est son problème. Mais vous me voyez avec une tribu des lapins Dubagne, en forme d’apothéose ? La cerise sur le gâteau de mon challenge : une descendance de lapinous.
Nan-nan-nan ! Pas question ! Heureusement, qu’Ophélia lutte contre ces penchants zoophiles en travaillant ses dissertations avec acharnement, et je fais ce que je peux pour l’aider à se débarrasser de ces pensées malsaines. J’ai rien de mieux à faire, toute façon. C’est d’un ennui cette université !
Mine de rien, le temps finit par passer et le moment est venu pour Zeneb de passer son examen final. Pas trop tôt ! Il aurait bien oublié d’y aller le bougre, si je n’étais pas toujours derrière son dos à le surveiller. Je sens qu’il va encore y aller en calcif. On le voit plus souvent dans cette tenue qu’autre chose, vu que ses moments perdus, il les passe en rendez-vous paradisiaques avec son Elise et que ça se termine le plus souvent sous la couette, après un petit acompte dans la voiture.
BON ! Tu vas le passer, ton examen final ou tu repiques pour un semestre ?
Ah, quand même ! 20/20 et les félicitations du doyen pour avoir réussi ses études malgré les bruits malveillants qui étaient parvenus à ses oreilles comme quoi il passait plus de temps en rendez-vous qu’à faire ses devoirs. Pour sa fête de fin d’études, il avait invité Elise, bien entendu, mais également Kathy, la po-pomme girl de Kaphir. J'ai toujours du mal à me fourrer son prénom dans le crâne.
Je devrais pourtant, parce qu’elle va bientôt faire partie de la famille… par la petite porte, je vous l’accorde, mais de la famille tout de même ! Ce gros dragueur de Kaphir a fini par la demander en fiançailles. Un peu influencé par moi, faut bien l’admettre. C’est pas qu’il en rêvait vraiment, mais il n’en émettait pas la crainte, fallait savoir en profiter.
Y a quand même une chose que j’ai du mal à lui pardonner à Kathy po-pomme : C’est qu’elle s’est pointée à la fête habillée comme si elle aussi venait de décrocher son examen final. On y a cru, forcément, ça n’a pas surpris que moi qu'elle ait encore tout à apprendre. Cédric, par exemple :
- T’as fini tes études ? Pourquoi t’as accepté d’emménager alors, c’est nul ! T’aurais pu rejoindre Kaphir direct chez lui.
- Ouais mais nan ! J’ai chipé la robe à une copine, en fait ça fait quatre ans que je repique ma première année.
Super !! Si on veut pas qu’elle vive aux crochets de Kaphir, va falloir s’occuper sérieusement de son cas.
Regardez-moi s’il avait l’air fier de lui, d’avoir sauté le pas, l’affreux ! L’avait bien fallu le pousser un peu, mais vous lui en donnerez des beaux petits lots comme ça ! Si c’était pas pour s’appeler madame Dubagne, pensez bien qu’elle l’aurait envoyé aux pelotes. C’est que c’est pas n’importe quoi une po-pomme girl, elles passent des examens, faut pas croire : examen de la poitrine, de la taille, des cuisses… faudrait pas qu’à les voir se trémousser ça leur donne envie se tailler, aux Lamas Universitaires. Nan, faut de la nana bien roulée qui vous en mette plein la vue et le calcif. De ce côté là, celle de Kaphir n’avait pas de soucis à se faire, c’était la huitième fois qu’elle passait la sélection haut la main.
Mais-bon, Kaphir, vu qu’il est destiné à aller s’abreuver à la fontaine de jouvence des townies et autres shootés à l’élixir, il nous intéresse moyennement –pour ne pas dire pas du tout. Qu’il réussisse son entrée dans le monde des adultes, c’est tout ce qu’on peut attendre de lui. Peut-être un petit plongeon, tête en avant dans la bétonnière pour lui remettre les idées en place et en finir avec cette aspiration à l’amour qui lui est tombée dessus comme un fléau avec sa gueule de tue-l’amour et basta ! Revenons plutôt à nos moutons, je veux dire à Zeneb. Pensez qu’après son examen et le rendez-vous paradisiaque qui s’ensuivit, il était mûr pour bien grandir.
Et qui dit grandir, pour ceux de mes descendants qui ont encore une mission à remplir en relation avec mon foutu engagement, -que j’aurais mieux fait de me tresser une corde et de me pendre avec tout de suite au lieu de tremper un doigt de pied dans ce challenge- dit revenir dans notre home-sweet-home avec les miasmes de fromage fondu et les fantômes qui profitent que le chat n’est pas là pour faire n’importe quoi.
- Tu nous donneras des nouvelles, hein ? Tu feras pas comme cette menteuse de Mintaka, a imploré Ophelia. Et tu diras à Fawsia de venir nous rejoindre, elle commence à me manquer terriblement.
Faut-il qu’elle s’ennuie avec Aurélien pour aspirer à la venue de sa cousine à ce point là.
Croyez que j’allais le laisser partir comme ça et me ronger les phalanges en attendant qu’il daigne nous donner des nouvelles ? Surtout que je connais le zèbre, une fois lancé dans son tourbillon de rendez-vous paradisiaques, il aura beau jeu de prétendre qu’il n’a pas le temps de téléphoner. Nan, mieux valait m’offrir une petite navette et profiter du taxi pour m’économiser. Ouais, je m’économise ! J’ai toujours économisé de mon vivant, c’est pas maintenant que je vais perdre le pli. Même si ça sert plus à rien.
Le premier truc qui frappe quand on revient dans le quartier, c’est l’odeur. Le deuxième, c’est le bruit. Mais qu’est ce qu’ils attendaient pour lui dire d’arrêter de déglinguer le lit, les parents ?!
- On va dé-mé-nager ! On va dé-mé-na-ger ! On va…
Débarrasser le plancher avant de passer au travers du sommier j’espère ! Je supporte plus de voir les enfants inventer les bêtises. Quand je pense que je vais en avoir dix à supporter d’ici peu… dix monstres à sauter sur les lits, à se faire des batailles d’oreillers, à couper la parole aux adultes à l’heure des repas… parlez d’un programme !
- Salut belle gosse !
Doit pas être remis du voyage, Zeneb, l’a pas les yeux en face des trous. Parce que Fawsia est tout sauf belle. Pourquoi vous croyez qu’elle attend toujours son premier baiser ? Parce que les gars ne veulent pas d’elle ! Parce que c’est un boudin, comme sa mère. Remarquez, la petite cousine vaut guère mieux.
- Ah-nan, mais ça va pas, nan ? Qui t’es toi, pour me sauter dessus comme ça ?
En plus, au lieu de profiter de l’aubaine… bref !
- Quoi, tu me reconnais pas ? Je suis Zeneb, le frère de ta mère… ton oncle, quoi !
- Ah-mais-oui, que je suis bête ! Zeneb ! Le frère de maman ! Mon tonton Zeneb ! Ben dis donc, ça fait une paye ! Ca y est, t’es rentré de l’université ?
Elle a le sens de la déduction, c’est toujours ça.
Et l’autre petite horreur :
- Zeneb ! Zeneb ! J’aurais su que tu venais, j’aurais mis une robe. Je suis en pyjama, c’est nul ! T’es mon tonton aussi, Zeneb ?
- Heu… oui.
T’as raison ! Pas la peine de se lancer dans un tas d’explications pour lui faire comprendre que pas vraiment, vu que son grand-père était juste le cousin de sa grand-mère à lui. Et encore, cousin au deux ou troisième degré. C’est bien simple, sont même plus considérés comme faisant partie de la même famille sur l’arbre généalogique. M’enfin, allez faire comprendre ça à une gamine de 10 ans. Si ça lui fait plaisir de penser que c’est son oncle, pas la peine de la contrarier.
- C’est à qui le lardon ?
Quel manque de tact, je vous jure ! Ah, c’est sûr que ce qui se passait à la maison c’était le dernier de ses soucis au Zeneb quand il était à l’université. Mais quand même, il aurait pu se dispenser de poser la question, il aurait bien fini par comprendre que c’était le fils d’Eliah. Et puis à qui il voulait que ce soit ? A Khali ? T’as qu’à voir ce qu’elle est capable de nous pondre, celle-là. Quand tu vois la tête de Fawsia…
- Ah, Zeneb, tu tombes bien ! J’ai fait des sandwichs au fromage fondu ! (quelle surprise !) Tu vas bien en manger quelques-uns avant de fêter l’anniversaire de Beltram.
Aaaah, parce que c’est l’anniversaire de Beltram ? Eh-ben, j’ai eu du flair ! J’arrive à temps pour voir s’il suivra les traces de sa sœur sur le chemin de la laideur ou s’il aura le bon goût de ressembler à sa mère.
Eliah toujours en guerre contre la dictature :
- Tu vas pas bouffer ça avant le gâteau ?! Khali, t’exagères, ça pouvait attendre.
- Mais… il aime ça, le fromage fondu. Hein, que t’aimes ça, Zeneb ?
- Mouais… bof ! Ca me tuera pas d’en manger.
Khali, toute contente :
- Ah, tu vois ! Allez, Zeneb, raconte ! T’en es où dans tes rendez-vous paradisiaques ?
Zeneb, pas plus fier que ça :
- Une bonne quinzaine.
- QUE quinze !! Ben dis-donc, t’es pas prêt d’en voir le bout ! T’aurais pas pu t’arranger pour avoir tes 50 à l’université ? Si je me souviens bien, c’est pas les étudiantes qui manquent, sur le campus !
- ELIAH !! T’as pas fini de donner des leçons à mon frère ?! Il avait ses études à suivre. C’est pas parce que toi, t’as repiqué je sais pas combien de fois ta première année qu’il était obligé de prendre modèle.
- Nan, Khali, elle a pas tort, je me suis débrouillé comme un manche. J’aurais pas dû attacher d’importance aux paires de claques. Maintenant, je me suis maqué avec une fille et je vais lui demander d’emménager. Mais 100 rendez-vous paradisiaques, c’est pas dans la poche ! Heu… t’en es où dans tes fromages fondus, toi ? Tu tiens encore les comptes ?
- Cent quatre vingt-quinze ! Encore cinq et elle devraitnous lâcher les baskets avec ça. T’arrives au bon moment, toi ! T’as échappé au pire.
Mais de quoi je me mêle, Elric ? J’aime pas beaucoup que les rapportés, qui sont juste capables de nous polluer la génétique familiale avec leur gros pif se mêlent de faire des commentaires. Que moi, je me permette ce genre de choses, c’est normal, c’est MA descendance. Mais que le premier trouduc qui passe sa vie à admirer ses ratiches dans un miroir de poche s’y mette… faudrait voir à pas exagérer non plus.
L’anniversaire annoncé de Beltram est tombé à pic pour détendre l’atmosphère.
Enfin, j’étais tendu quand même. Et s’il était beau comme un dieu, le petit Beltram ? J’aurais pas fini de regretter de voir la famille quitter la maison.
Oui-ben, pas de regret à avoir ! Elric a encore sévi !
J’ai plus qu’une hâte : les voir plier bagages et voir arriver Elise. Elle est plutôt mignonne, la petite Elise dans son genre. Je vous dis pas, une fois maquillée et relookée… ça me fera quelque chose de beau à regarder et me permettra de me remettre du départ de ma chère Eliah.
N’empêche, il nous aura coûté un point, ce bon à rien d’Elric, et il aurait fallu qu’il bosse jusqu’à la retraite pour le regagner, pour bien faire. Mais tant pis, rien que de voir sa tête, j’aurais pas dormi tranquille dans mon cercueil, surtout sachant qu’il nous en fait des duplicata chaque fois que sa femme accouche d’un môme.
Allez zou ! Du vent, de l’air ! Allez me pondre vos monstres ailleurs !
La maison Dubagne, c’est pas la petite boutique des horreurs.
En parlant de départ…. J’en vois un autre qui se profile.
- Ta cousine Ophelia voudrait bien te voir à l’université, Fawsia. Si tu tardes trop, elle va finir par déprimer. Tu lui manques, qu’elle dit.
- Ah-ouais ? Mais… j’ai qu’une bourse !
- Ca peut faire, ça ? Ils sont pleins de fric à l’assoc. Plus de 125 000$ qu’ils ont. Qu’est ce tu veux qu’ils foutent de 5000$ de plus ou de moins ?
Ca a fini de la convaincre : demain, elle fait ses bagages !